Un garçon de l'Ardenne où le vent est à la cantonade, il n'était pas si gai, le gamin de dix-sept ans dans ces forêts bleues où "marmottent" d'anciennes et vieilles légendes !.. Lui, si épris de folles féeries. Lui, né un 20 Octobre 1854, en la maison de Charle-merde (comme il dira plus tard), Charleville du 12, rue Napoléon (aujourd'hui, rue Thiers), et, maison du grand-père maternel. Lui, le rimm-bâ-où comme on dit là-haut, ou d'ici même, à Tréboul encore tout ainsi qu'en province Lilloise, le ribaud, bref, un vilain !.. Il a la nature des grands vents et le caractère du grand large, il partira "foin des bocks et de la limonade" ! Il partira. La classe terminée, obtenue la brassée des "premiers prix version de Grec, de Latin et de vieux français ", et même, à l'étonnement de l'aumônier, une assiduité au catéchisme, lui , ayant vécu "sa" Saison "en enfer" !!!" Il étonnera ! Et, pas que les Vitalie Cuif-Rimbaud, ses parents, non, le monde entier !.. Il aimait le cirque où les cuivres résonnent, en répons des cors de chasse, à l'appel de Monsieur Loyal ; et, sans un sou, c'est derrière une entaille déchirée de la toile qu'il verra le fantastique grotesque de l'autre monde, celui qu'il décrira, chevaux empanachés pour amazones-fées, pierrots blafards, à la mélancolie des clodoches et des dompteurs de fauves, il sera "fauve" pur pour un certain... Verlaine, puisque les Parnassiens lui ayant refusés ses envois de poèmes comme il voulait "faire faire - à la poésie Credo in unam une petite place entre les parnassiens....Ambition ! O Folle ! "(lettre au Cher maître, monsieur Théodore de Banville, qui ne lui répondra pas !) Quel autre Parnasse contemporain accueillerait ses vers, sinon ce monsieur-là, Verlaine ?.. C'est réglé d'avance, le destin... Pourquoi chercher à miser autre cartes d'orgueil et d'incompréhension, prisonnier de son manque de charité et de solidarité ? Que dira maman devant cette épouvante ? Il part !.. Avec dans ses poches "les Étrennes des Orphelins, Sensation, Ophélie, Soleil et Chair, A la musique, Ce qui retient Nina, Bal des pendus, d'autres aussi comme le Forgeron...", il va, il est, il "vole" sur les routes et les chemins, "tête nue", on est après le mois d'Août 1870, fuyant les Bourgeois d' A la musique qui : " ...fort sérieusement discutent les traités.." Il les maltraite, déjà... dans ses premières Poésies empreintes de Villon-Hugo-Banville !.. Il les charrie, même si cela vaudra les foudres de la mère sur son maître (et presque ami) d'alors, jusqu'à Douai, du moins : le jeune professeur de rhétorique, Izambard, arrivé en janvier 1870 en son collège de Charleville, vingt et un ans quand le Rimbe en a à peine moins que lui, seize...... On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans !
(Oui, fils, je sais, tu en as vingt, mais cet âge n'en donne pas moins dans le volage)..
On l'a laissé là, le Poète, sur la route, reprenons-le, c'est le soir du 29 août, il s'enfuit du domicile maternel.
Il marche, ne sachant où aller, il va, tranquille "les poings dans mes poches crevées.. Muse, et j'étais ton féal /
Oh ! là, là, que d'amours splendides j'ai rêvées !"..
Le soir, il s'endort au pied d'une meule où la paille crépite (Van gogh l'eût peint !)
Le soleil levant le réveille ; il rejoint le père de son camarade de collège des Essarts, directeur du Journal de Charleroi, mais il ne sera embauché, jugeant les politiques sur qui il doit écrire de "pignoufs, sauteurs et maringouins !"
Direction : "Le Cabaret-Vert", commandant tel un homme :
" Depuis huit jours, j'avais déchiré mes bottines
Aux cailloux des chemins ; j'entrais à Charleroi,
Au Cabaret-Vert, je demandai des tartines
De beurre et de jambon qui fût à moitié froid..."
Chaque fois que Rimbaud criera : "j'ai faim !" (comme un Jésus : "j 'ai soif !" - Lui, c'était d'amour qu'Il avait soif, non d'une éponge de vinaigre, messieurs les centurions Romains !"), chaque fois, ce sera un appel vers ces chères "tartines" !
De Charleroi, il gagne Bruxelles, remontée vers un ami d'Izambard, qui l'hébergera deux jours et le poudra, le lavera, le gâtera comme on doit aimer correctement un môme, ce que son père militaire n'a jamais su faire ! Arrivé en col sale, cravate nouée en ficelle, bottines trouées, il repartira, tout propre, péremptoirement décidé d'un "tour de belgique" à faire, "pour son instruction" ! Petit Poucet rêveur ou Pélerin d'Espagne, il arrive finalement à... Douai.
Là où Izambard passe ses vacances.
Le col sale est devenu à coins cassés ; la cravate-ficelle, mordorée ; les cheveux à la diable, fraîchement peignés ; les vêtements en lambeaux, subtilement brossés !
Le beau jeune homme ! "Un vrai dandy" (Baudelaire en eût fait un poème !)
Il fronce néanmoins le sourcil. Loin de sa mère, il aime sa mère ; il demande beaucoup de papier pour écrire ; inquiet, Izambard prévient cette "bouche d'ombre" qui lui ordonne de "chasser le petit drôle" !
- Oh maman , pourquoi ne veux-tu pas que je m'en aille ? (eût pu clamer le fièvreux, baluchon bouffi de poésies manuscrites, un rayon de lumière dans l'oeil, qui rentre s'éveiller à la dure réalité de Charlemerde ; les deux amis ne se reverront plus !)
Opéra fabuleux : "Quand l'ombre bave aux bois comme un mufle de vache"...
L'appel du large est une séduction de femme, une liane envoûtante et sensuelle, qui lui monte à l'esprit, aurait-il perdu son âme ?.. La joie de vivre qui grouille autour de lui, cette folle joie des mères-frère-soeurs l'empêche d'être heureux, lui, qui ne se réchauffe qu'aux flammes de la Poésie dans l'âtre de son être !
Il épie la fenêtre grand'ouverte sur la délivrance et sur l'espoir. Faire mine de sauter, dans le trou du suicide ? Pas son genre...
Il a promis de rester à la personne qu'il aime le plus au monde.... Izambard !
"Charleville, 2 novembre 1870.
Monsieur, A vous seul, ceci :
Je suis rentré à Charleville un jour après vous avoir quitté. Ma mère m'a reçu et je suis là... tout à fait oisif. Ma mère ne me mettrait en pension qu'en Janvier 71.
Eh bien ! J'ai tenu ma promesse.
Je meurs... Je me décompose dans la platitude, dans la mauvaiseté, dans la grisaille. Que voulez-vous, je m'entête affreusement à adorer la liberté libre et... un tas de choses, que "ça fait pitié", n'est-ce pas ? Je devais repartir aujourd'hui même, je le pouvais : j'étais vêtu de neuf, j'aurais vendu ma montre, et vive la liberté ! - Donc, je suis resté ! je suis resté ! - et je voudrais repartir bien des fois - Allons, chapeau, capote, les deux poings dans les poches, et sortons ! - Mais je resterai, je resterai. Je le ferai pour mériter votre affection. Vous me l'avez dit. Je la mériterai...."
Il signe : "Ce sans-coeur" de Rimbaud. A. Rimbaud
Le "sans-coeur" est au bord des larmes, en fait ! Il ne pleure pas, c'est Izambard, au reçu de la lettre, qui le fera.
Au long hiver suivant, sous l'esclavage de sa mère, dans le rire de la maisonnée (folle, finalement), Rimbaud se réfugie à la bibliothèque municipale dont le vieux bibliothècaire, amoureux du calme, voit d'un oeil grave et mauvais débouler sur lui ce petit gêneur venu réveiller son grand sommeil de bourgeois, les Assis !
La forte tête de Vitalie reviendra souvent, ce que n'espérait pas ce vieux bougre, croyant que ce gamin sera vite dégoûté des livres !
Curieusement, le vieux gardien des lieux s'encolère, et Rimbaud prend plaisir à destabiliser "son" calme régent !
"Oh ! ne les faites pas lever ! C'est le naufrage...
Ils surgissent, grondant comme des chats griffés,
Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage !"..
Tous les livres du monde plaisent au studieux, le tour du monde est pour l'hiver ; Izambard a rejoint une autre ville, un autre collège... C'en est définitivement fini de leur amitié rapprochée !
Voilà la fin des dix-sept ans sonnée, la nature d'homme s'éveille, les représentations malsaines de l'enfance rimbaldienne resurgissent, il verra toujours dans la sexualité le délicieux sujet de grossièretés défendues, les "morves d'azur" des Vénus Andyomène, phrases taillées dans le granit des Regrets de la Belle Haulmière d'un François Villon :
"Et tout ce corps remue et tend sa large croupe / Belle, hideusement, d'un ulcère à l'anus."
Le poète expire "sur des rêves niais" !
"L'hiver nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux. "
(Il les proposera au Progrès des Ardennes, qui le rembarrera fort séchement, signalant au gamin de dix-sept ans que les circonstances de la guerre de l'époque ne se prêtent pas à de tels "pipeaux rustiques" !)
Il s'enhardit auprès d' "alertes fillettes", en voulant un peu plus, un peu mieux que la simple cheville ; les aspirations érotiques menacent son émoi, l'éprouvent :
" Je cherche la bottine et je vais jusqu'aux bas ;
je reconstruis le corps, brûlé de belles fièvres.
Elles (les fillettes) me trouvent drôle et se parlent tout bas.
Et je sens des baisers qui me viennent aux lèvres
(variante originale : Et mes désirs brutaux s'accrochent à leurs lèvres) "
Dans les Déserts de l'Amour, composés au printemps de 1871, il décrit son ennui et son trouble, se dépeignant tel un garçon "fuyant toute force morale", pointant ses accusateurs : les éducateurs l'ayant élevé "en des erreurs étranges et tristes", lui le "plein de sang" !
Il écrira sa Lettre du Voyant à Izambard (13 Mai 1871)
Il ne connut alors que des amours en rêves "dans ses lits ou dans les rues"..
L'année guerrière de fin tragique 1871 verra le déséquilibre de Rimbaud comme une insulte que la vie lui crache à la figure, un défi, la mort que "l'on cache aux enfants" :
"Il dort dans le soleil, la main sur la poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit."
Bombardement de Mézières. Il hurle à la régalade : "allons voir les décombres"...
Son état d'âme de blessé de ses guerres de l'amour :
"L'âcre amour m'a gonflé de torpeur enivrante.
Oh ! que ma quille éclate ! oh ! que j'aille à la mer !"
Le 25 Février 1871 "sa quille éclate", il fuit la Charleville gelée pour LES faubourgs parisiens fascinants où il erre - fier ?
L'éditeur Lemerre, qu'il rencontre, lui donne à sentir les livres fraîchement publiés :
Le Sacre de Paris (lié aux événements militaires) ; Le soir d'une bataille - Lecomte de Lisle.
La Lettre d'un mobile breton - François Coppée.
La Colère d'un franc-tireur - Catulle Mendès.
Voe victoribus - d'un certain Lacaussade....
parmi les poésies des Félix Franck et d'Emile Bergerat !
Les reliures sentent bon, le galopin s'en enivre ; on le congédie - La guerre, comprenez-vous ?
Il traîne encore dans les faubourgs, dix francs en poche, donnés par l'amusant dessinateur André Gill des Binettes rimées.
Quinze jours pitoyables, il rentre sur Charleville... dégelée.
La madre s'enrage ; allusion dans ses cahiers d'une Saison en Enfer :
" Sur les routes, par des nuits d'hiver, sans gîte, sans habits, sans pain, une voix étreignait mon coeur gelé : "Faiblesse ou force : te voilà, c'est la force. Tu ne sais ni où tu vas, ni pourquoi tu vas... / Au matin, j'avais le regard si perdu et la contenance si morte, que ceux que j'ai rencontrés ne m'ont peut-être pas vu ... / Oui, j'ai les yeux fermés à votre lumière. Je suis une bête, un nègre..."
De cette profonde blessure éternelle, il jaillira aussi ce poème que nous chante Léo Ferré :
"On n'est pas sérieux quand on a dix sept ans.
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Dix-sept ans ? .. On se laisse griser.
La sève est du champagne qui vous monte à la tête.
On divague.... "
Psukê !
- Vous êtes amoureux, loué jusqu'au mois d'août !
Vous êtes amoureux : vos sonnets la font rire.
Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût !
"Et le printemps m'a apporté l'affreux rire de l'idiot."
(Puisse ta rentrée être meilleure, fiston ! Ton père aimant, Bertrand)