Sept ans durant le Bouddha tenta cent approches ascétiques, comme de "se renverser la tête en bas ; s'asseoir sur le feu ; retenir sa respiration ; éviter de dormir ...", là, il comprit la futilité des efforts inutiles !
Nul ne peut ni doit "s'enivrer de sa propre puissance", souffla-t-il.
Il se reprit.
La Voie n'est pas martyriser ni asservir son corps dans la maîtrise constante d'un esprit souvent bien faible.
Il se reprit.
L'auto-souffrance ne mène nulle part, la purification ne connaît aucune limite dans ce que tout corps finit par la mort.
Il se reprit.
La mort ne répond pas à la question qu'il se posait : "Comment un humain doit-il vivre son existence ?"
Il se reprit.
Il écouta les "silences de la cithare à sept cordes", en tendit une, la relâcha, écouta vibrer le son harmonieux d'une seule note, et, de là, s'engagea dans la voie médiane de l'écoute profonde, il se reprit.
L'équilibre d'un simple ascète doit se situer entre le luxe et l'ascétisme.
Il mit fin au jeûne astreignant qu'il s'était fixé jusqu'alors, se choisit .... un seul grain de riz.
Ceux qui le suivirent jusqu'à cet instant dans la stupide méditation sévère le jugèrent bien mal, déçus par cet aveu :
"L'ascète Gautama est insensé et stupide, il a perdu la Voie..." Nous le quittons.
Astre rouge lunaire dans le ciel des oublieux, le simple ascète se reprit, poursuivit sa méditation, abandonné de tous, famille, amis, faux amis, faux prophètes et artistes de pacotille, ennemis même qui le regardaient, de loin, en riant, salopards de tout acabit cherchant un moyen de le déstabiliser de son rang d'ascète.
Il se reprit, au coeur même d'une grande solitude.
C'est là qu'un souvenir remonta du fond de sa première existence, entre deux et six, peut-être, l'âge blanc freudien, enfant assis au pied d'un arbre, dans cette solitude où tout autour de lui la vie simple et joyeuse le rendit à lui-même, sans référentiel aucun, sans lien apparent avec les siens, les proches et les lointains, je crois qu'il pleuvinait même sur lui, et, dans ces instants précieux de paix profonde, la seule richesse qui vaille, au demeurant, libéré du quota des railleries et des émotions conflictuelles et négatives (une colère naît bien vite en quiconque est empêché de libération intérieure), il se souvint qu'il ne connut pas la tentation du manque et du vide à combler, ni que le rituel des pensées d'habitude l'invita à la rébellion ou à la sourde quête d'une vengeance personnelle, il était dans l'état ordinaire qu'aucune pensée ne cultive, les yeux perdus dans le vide, captivé par la présence ouverte d'un point lumineux.
Par ce simple souvenir d'enfance , il n'avait envie que de s'asseoir devant l'espace du Vivant, les yeux ne se fixant sur rien, sinon une spirale de vide et d'absence emplie de paix profonde.
Alors, il partit au bord d'une rivière, s'y baigna, près d'un faucheur de mauvaises herbes folles, à qui il en demanda un peu pour en fabriquer un zafu ; Auspicieux, le nom de cet homme, lui en remit, non sans étonnement, il observa Gautama se choisir un ficus, tourna autour sept fois, le quota d'herbes folles sous l'aisselle gauche, et, au septième tour, s'arrêta, déposa en rond la confection herbue, avant de s'y asseoir, le corps aussi droit que l'esprit alerte, déterminé à découvrir par lui-même, sans aucun modèle de philosophie ou de spiritualité auquel il pouvait dépendre encore, hier, remettant ainsi en cause l'existence de Brahmâ, le dieu créateur du ciel et de la terre.
Il se reprit, une pénultième fois.
Il sut : "il n'y a pas de moi stable et indépendant" .
Il marmonna : - Illusoire, l'identité d'un dieu comme la nôtre, chaque acte produit l'effet d'une cause qui produira diverses conditions...qui identifieront nos pensées, nos espoirs, nos projections, nos spéculations, nos craintes et nos peurs, que nous rassemblons et coordonnons dans une assise d'herbes folles, nos pensées dérisoires. quand nous tournons en rond !
Il ajouta même que le mental n'est pas fixe, je crois.
Il se reprit , une dernière fois :
- Existe cependant cet état de Bouddhéité que je cherche, en zazen, c'est l'Eveil - de soi, à tout l'ouvert comme à toute durée.
Il clarifia ainsi son esprit, qui est la méditation même, non un esprit vide qui ne pense à rien, les yeux fixés dans le vide, comme l'a cru encore, une voisine m'invitant chez elle, hier...tandis que , ne la regardant pas, je l'écoutai, ce qu'elle ne pensait pas :
- Mais, tu ne m'écoutes pas, tu fixes quoi devant toi ?
- Ne sais-tu pas qu'on n'écoute qu'avec les oreilles, je n'ai pas besoin de mes yeux pour t'entendre ; je t'écoute, en simple ascète... Chacun en soi est porteur de ce petit Gautama sous le ficus géant de l'Univers.
Ecoute le Talmud : "Entendre, ce n'est pas voir..."
Elle s'esclaffa ; je la quittais..., rejoignant ma solitude où j'ai pensé vous écrire ce conte...
Assoyons-nous, tranquilles, laissant la pureté se manifester librement, sans obstruction aucune.
Reprenons-nous ainsi, autant de fois qu'il faille ; méditons, en simple ascète :....de nos vies.
Gérard Bauer peut confirmer : " Toute facilité apparente, toute réussite sont les fruits d'une rigueur intime"...